Tous les amateurs de marathon, de cross-country ou de jogging au Luxembourg connaissent Serge Benoit. Un petit homme fluet blanchi sous le harnais, courtois et toujours dans le peloton de tête qui évoque plus volontiers ses performances physiques que son art.
« La course à pied me fait un bien fou »,
confie-t-il au milieu de ses œuvres qui emplissent la belle maison de la Cité fleurie.
« A une époque, je me sentais tellement enfermé que cela a inspiré mon travail ; au point même que j’ai dû trouver un autre exutoire pour évacuer les toxines et fuir l’atelier. C’est ainsi que j’en suis venu à avaler les kilomètres. » L’autodidacte qui n’a pu faire les Beaux-Arts a travaillé en usine tout en se frottant à la ferronnerie d’art et en suivant les cours du soir.
L’art figuratif,
dont il conserve ses premières réalisations, doit largement à ses maîtres Rodin, Brancusi ou Arp. Avant qu’il ne s’oriente définitivement vers le constructivisme, pour ne pas dire le futurisme italien du début XXe paraphrase. Ce tournant décisif déroutera les béotiens mais enchantera les amateurs d’Art contemporain qui verront dans ses formes carrées et ses enchevêtrements de matériaux divers, les statues de l’île de Pâques stylisées et bien d’autres allégories puisées aux sources de son goût pour la machine.
« Avant de vivre ici, nous avons passé deux ans au Québec dans les années 60 où j’ai un peu vécu de mon art quand je faisais du figuratif. D’ailleurs un de mes « Christ » trône au musée de l’Oratoire Saint Joseph à montréal. Un particulier à qui je l’avais vendu l’a donné au musée avant de mourir ». Squatters pendant tout le septennat de Giscard à la Cité fleurie, Serge et sa femme sont aujourd’hui parmi les plus anciens locataires de cette enclave végétale qu’on regarde comme un prolongement du rêve communautaire des années 70. Ce que Serge dément. « Ici, les rapports sont courtois mais sans plus. La plupart des gens ici sont des enseignants qui manifestent un réflexe corporatiste en restant entre eux. Et il y a la nouvelle génération d’artistes, individualistes, pour ne pas dire distants. Moi, j’ai connu l’usine et la vache enragée. D’ailleurs, à une époque je n’étais même plus à la Sécurité Sociale ».
Aujourd’hui, Serge Benoit vend ses pièces
(il en achète aussi) et alimente régulièrement Drouot de ses Œuvres dont son propre fils est également un promoteur zélé. Des sculptures à 13 000 € côtoient des tableaux plus modestes au milieu d’un véritable musée contemporain encombré d’outils et d’instruments qui ont façonné son œuvre et sa vie. La vie d’un véritable artiste.
Des chalets suisses, des arbres et des fleurs précèdent de peu la sinistre prison de la Santé et ses hauts murs noirs. Etrange autant que charmante, cette cité unique à Paris doit son existence à un promoteur qui construisit en 1878 une série d’ateliers avec des matériaux provenant du démontage de l’exposition universelle. Rodin, Bourdelle, Maillol y feront patiner leurs œuvres alors que Gauguin, Modigliani y vécurent quelque temps.
Dans les années 70,
la menace d’une destruction pure et simple incita de futurs grands artistes (notamment Serge Benoit, lire notre Focus ci-dessus) à se battre en squattant les lieux jusqu’à ce que les vandales en col blanc abandonnent leurs funestes projets.
Aujourd’hui, la cité fleurie
compte plus de trente ateliers, de splendides maisons rachetées par l’Etat et louées une bouchée de pain à des artistes qui découvrent le charme discret de la bourgeoisie plutôt que les affres de la bohème.